Grâce au digital, les rapports entre un retailer et ses points de vente entrent dans une nouvelle dimension, permettant un marketing plus flexible et contextualisé au local.
Venir en tenue de festayre au Carnaval de Dunkerque, ou se travestir à Pampelune pour la féria… Vous remarquerez vite que vous vous êtes peut-être trompé de saison et d’endroit. C’est ce que doivent ressentir de nombreux responsables marketing en région quand, bien au fait des événements locaux ou des problématiques spécifiques à leurs magasins, ils découvrent les campagnes nationales déployées par le siège. « Dans 80% des cas, le marketing et la communication descendent encore du siège vers le point de vente. Or s’il faut penser l’image de marque au niveau global, les actions locales ne sont pas toujours en lien avec le contexte du magasin. 90% des retailers n’ont pas une connaissance fine de leur réseau. Pour beaucoup, il prend la forme d’un tableur Excel qui n’indique pas les besoins spécifiques d’un point de vente, comme par exemple la taille des vitrines« , avance Raphaël Moisand, dg d’IMS Retail Agility, spécialiste de la PLV.
Et si les contraintes logistiques de l’ancien monde pouvaient justifier cet état de fait, le digital bouscule aujourd’hui les méthodes dont disposent les directions marketing pour décliner leur stratégie au niveau local, en donnant de plus en plus la main aux magasins eux-mêmes. Mais en pleine révolution des « Retail Tech », ces start-up qui surfent sur le digital pour adresser les besoins des enseignes et qui seraient plus de 3000 en France aujourd’hui, difficile de trouver le bon interlocuteur. « Même les agences de conseil ont du mal à s’y retrouver ! Il y a une forte appétence pour le digital, mais la maturité des annonceurs sur ces canaux est encore faible, certaines opérations à succès ne conviennent pas à tous et on voit qu’une enseigne comme E.Leclerc, qui prophétisait la fin du papier, y est revenu« , constate le dg. « Les investissements digitaux ont coûté une fortune à certains, qui se sont équipés d’outils sans savoir quoi en faire« . Reste qu’il est inutile d’opposer le digital à l’ancien modèle : l’avenir est à la complémentarité.
Construire sa présence digitale locale
« Les médias traditionnels comme l’imprimé sans adresse et l’affichage restent très performants. Il n’y a pas forcément d’urgence à digitaliser ses investissements, mais il faut avoir en tête que 47 millions de Français ont un smartphone et que dans 73% des cas, une visite dans un magasin commence par une recherche en ligne, ne serait-ce que pour trouver les horaires d’ouverture« , rappelle Johan Gipch, directeur du développement de l’agence d’achat média Ekstend. D’où l’importance de rendre son réseau le plus visible possible au niveau local, en animant régulièrement ses pages Internet, qui sont la plupart du temps la première vitrine des retailers.
« C’est le « zero moment of truth » cher à Google, soit le premier contact d’une personne avec votre offre, qui s’est déplacé de l’entrée du magasin au search. Aujourd’hui, 46% des recherches Google touchent de près ou de loin à une localisation et 18% d’entre elles aboutissent à une vente« , explique Dorothée Mani, CEO de l’agence de marketing local Evermaps, qui travaille notamment avec le groupe Provalliance. « La digitalisation du local est l’enjeu n°1 du groupe et devrait l’être pour tous les retailers qui cherchent à construire la visibilité de leur point de vente et faire de l’acquisition sur le long terme« , abonde Laëtitia Lecacheur, CDO de ce géant français de la coiffure, qui rassemble 3500 salons dans 35 pays, les trois quarts en franchise, mais reste plus connu sous ses marques Franck Provost ou Jean-Louis David.
Outre l’utilisation des stores locator sur ses sites, le groupe a détaillé au maximum les informations présentes sur ses fiches Google My Business. « Un store locator est souvent la deuxième rubrique la plus consultée sur le site d’une enseigne, et 50% de ces consultations se font sur mobile. Quant aux fiches Google My Business, qui apparaissent à droite des résultats de recherche, elles sont riches d’éléments utiles comme des horaires ou des photos, et peuvent aussi accueillir des » posts » temporaires mettant par exemple en avant une promotion » , explique Dorothée Mani. Elle met l’accent sur l’importance croissante du SEO local à l’heure du développement des assistants vocaux.
« Il faut aussi soigner les avis clients, qui sont autant consultés par les clients potentiels avant une visite dans un de nos salons que par Google quand il s’agit de les mettre en avant dans ses résultats de recherche. C’est essentiel quand on sait que 90% des clics se concentrent sur le premier lien« , ajoute Laëtitia Lecacheur, qui mène actuellement la refonte des pages Google My Business des salons Jean-Louis David concernés par le déploiement d’un nouveau concept tourné sur le digital. Selon Dorothée Mani, « les appels ont augmenté de 72%, les demandes d’itinéraires de 31% et les clics vers le site web de 109% » entre 2017 et 2018 via les fiches Google My Business.
Mais la firme de Mountain View n’a pas le monopole du référencement local : « Il ne faut pas sous-estimer les annuaires comme Yelp, Trip Advisor ou les Pages Jaunes. On en dénombre au total une trentaine, qui vont concentrer un nombre énorme de requêtes et vous permettre d’améliorer votre SEO local« , prévient Johan Gipch, sans oublier les formats Pin’s ou Arrow de Waze, qui mettent en valeur un lieu sur la carte des utilisateurs. Autre option : référencer, dans les résultats de recherche des habitants de la zone de chalandise, les produits disponibles dans un magasin pour qu’ils apparaissent devant ceux vendus en ligne, comme le propose la solution Armis. Enfin, les retailers auront aussi intérêt à s’emparer des plateformes comme Deliveroo et JustEat ou Balinéa et Treatwell, et cela même sans être un acteur de la restauration ou de la beauté… C’est tout l’intérêt de tels services qui ciblent des utilisateurs en fonction de leur localisation.
Faire du ciblage géolocalisé
« On n’y pense rarement mais Leboncoin est un excellent carrefour d’audience avec une forte assise locale puisqu’on sélectionne les annonces de sa région, que l’on retrouve sur des pages dédiées sur lesquelles on peut faire de l’habillage« , conseille Johan Gipch qui cite d’autres outils permettent de cibler plus précisément sa zone de chalandise et les gens qui passent à proximité de ses magasins : « Avec le Takeover de Waze, une publicité apparaît à l’écran quand le véhicule est à l’arrêt, en donnant des informations sur le point de vente et en proposant un itinéraire. Il y a bien sûr Facebook, mais aussi Snapchat et son format Lense qui permet de se taguer quand on est géolocalisé dans une boutique. Ce format offre aussi des perspectives intéressantes en matière de viralisation« . Tout cela a été repensé grâce au digital, et notamment les données issues des smartphones, dont le taux d’équipement en fait aujourd’hui un outil incontournable : on va pouvoir identifier des zones « sous-pressées « , y faire ressortir des problématiques spécifiques et adapter ses investissements médias on et offline en conséquence.
Mais de telles actions nécessitent une maîtrise fine de ses données locales, comme l’explique Redouane Bellani, vice-président Europe du Sud de Conversant, un spécialiste de la publicité digitale. « Quand on est capable de relier un individu connu dans ses bases CRM, aux devices qu’il utilise, le champ des possibles s’ouvre considérablement. C’est ce que représente le taux de matching, soit le pourcentage de ses clients identifiés et activables« . Le ROI de ses campagnes publicitaires est souvent plus élevé lorsqu’on cible les clients existants, « car on sait plus de choses sur eux et on a la capacité de rendre le message plus pertinent« , ajoute-t-il. Et cela sur une échelle qui dépasse la zone de chalandise, « alors que beaucoup de gens ont un magasin favori sans forcément être régulièrement à proximité. D’où l’intérêt de structurer ses données et de les faire parler pour révéler quel rapport un client entretient avec vos différents points de vente. » Là aussi, Facebook, auquel on se connecte sur son desktop comme sur son mobile, peut être un outil très efficace pour faire monter son taux de matching, en associant les adresses e-mail de ses clients aux informations dont dispose le réseau social.
Quant aux façons d’activer ses données, elles sont d’autant plus nombreuses que les usages évoluent : même les anciens canaux de communication comme la radio font leur transformation digitale. « C’est un très bon levier de notoriété et de drive-to-store au local, qui comble ses faiblesses grâce au digital. Jusqu’à présent, il était difficile de ne cibler que les personnes de sa zone de chalandise, mais avec le développement du streaming et des podcasts sur les smartphones, on peut toucher en mobilité les cibles qui nous intéressent : 80% de la radio digitalisée est écoutée sur mobile, et 60% des gens qui utilisent Spotify ne sont pas abonnés à la version premium et sont susceptibles d’écouter une publicité« , explique Nicolas Rieul, CMO de la solution de publicité mobile S4M, qui réalise ses premières campagnes audio de publicités programmatiques géolocalisées, après avoir fait ses armes dans le display.
Meilleure collaboration entre le siège et le magasin
Cependant, les promesses du digital ne doivent pas éclipser la question de la maturité des équipes en local. Il faut souvent avancer sur tous les sujets à la fois. « La question des ressources humaines est centrale : vous pourrez avoir le meilleur référencement local du monde, si vous n’êtes pas staffé pour traiter le trafic en magasin ou le nombre d’appels qu’auront à traiter une agence, vous n’aurez réussi qu’à créer de l’insatisfaction » , rappelle Dorothée Mani. Une problématique que l’on retrouve au moment de réaliser des campagnes publicitaires et autres opérations spéciales, en ligne ou en physique : « Souvent, le siège envoi un kit de communication unique à ses magasins. En moyenne, 30% du matériel est jeté car il ne correspond pas aux besoins spécifiques de ces derniers !« , constate Raphaël Moisand, dont l’outil, baptisé Store System, permet aux responsables des magasins de sélectionner ce dont ils ont besoin, mais aussi indiquer des événements sur lesquels ils souhaitent rebondir, « comme une féria ou de fortes chutes de neige, puis de personnaliser les supports en fonction, suivre leurs budgets et calculer le ROI de leurs campagnes« , détaille-t-il, avant de rappeler que les magasins mènent entre 20 et 100 opérations par an, et que dans certains réseaux de boutique, le taux de matériel jeté dépasse les 50% !
Même logique chez Provalliance, qui développe sa propre plateforme pour mettre « des outils de communication et d’acquisition à disposition de l’ensemble des salons de coiffure, qui pourront personnaliser leurs supports de communication off et on line à partir de différents templates« , détaille sa CDO. Le groupe planche par ailleurs sur le « développement d’un référentiel client unique pour réconcilier l’ensemble des bases de nos marques et faciliter les activations CRM, tant en national qu’en local. » D’autres outils utilisent le machine learning pour aider les responsables marketing à planifier leurs actions. C’est le cas de ForePaaS, une plateforme de data analytics, utilisée notamment par Total, Klépierre, Saint-Gobain ou l’enseigne Cora. L’idée est de « qualifier leur empreinte digitale, point de vente par point de vente, afin de mesurer l’impact de leurs actions et apprendre à les adapter localement à chaque zone de chalandise« , explique François Vaillant, chief customer officer en charge de Cora chez ForePaaS, qui évoque l’intérêt de faire remonter, centraliser et partager les bonnes pratiques. « On va surveiller les interactions avec les fiches Google My Business, une newsletter ou une page Facebook, pour offrir un tableau de bord unifié, mettre en place des alertes et nourrir un algorithme qui va être capable d’indiquer à chaque responsable d’hyper quelles actions mettre en place en fonction de ses objectifs et des caractéristiques propres à son point de vente, en faisant des corrélations qui sont souvent contre-intuitives pour un humain. » Surtout sur un tableur Excel.